Lettre rapporteuse spécial UN

Notre association a écrit à Madame Margaret Satterthwaite.
Rapporteure spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats. Haut-Commissariat aux droits de l’homme – Nations Unies

Satterthwaite La liberté d’expression des avocats

Paris le 06 Octobre 2025

Objet : Atteintes graves à la liberté d’expression et à l’action des avocats défenseurs des droits humains en Algérie

Madame la Rapporteuse spéciale,

Au cours de ces dernières années, les procédures spéciales des Nations Unies ont exprimé à plusieurs reprises leurs préoccupations quant aux atteintes aux droits fondamentaux en Algérie. Pourtant, loin de s’atténuer, ces violations se sont aggravées. Les avocats et défenseurs des droits humains qui ont eu le courage de dénoncer ces abus sont de plus en plus exposés au harcèlement, à des poursuites judiciaires abusives, à des détentions arbitraires et à des restrictions systématiques de leurs activités. Parallèlement, les autorités ont poursuivi la fermeture des médias indépendants, interdit de nombreuses activités politiques et citoyennes, et renforcé le contrôle des organisations syndicales.

Aujourd’hui, une nouvelle mesure vient frapper au cœur même de la profession d’avocat et cible directement les défenseurs des droits humains. Le 28 septembre 2025, le bâtonnier de l’Ordre des avocats d’Alger, Maître Mohamed Baghdadi, a diffusé une note interdisant à l’ensemble des avocats toute apparition médiatique ou prise de parole publique sans son autorisation préalable. Cette note a déjà été reprise par le bâtonnier de Skikda et risque de s’étendre à d’autres juridictions. Ce texte ne se limite pas à encadrer la publicité professionnelle :

  • il prive les avocats du droit de s’exprimer dans les médias ou sur les réseaux sociaux,
  • il interdit de fait toute consultation juridique en ligne,
  • il assimile à une faute disciplinaire tout commentaire public sur une affaire ou toute prise de position relative à la justice,
  • il menace les contrevenants de sanctions disciplinaires.

Si cette mesure vise l’ensemble de la profession, elle touche de manière disproportionnée les avocats qui défendent les détenus d’opinion, les militants pacifiques et les défenseurs des droits humains. En leur interdisant de s’exprimer publiquement, de dénoncer les violations des droits fondamentaux ou même de participer à des débats d’intérêt général, cette note réduit au silence ceux qui étaient encore les derniers remparts judiciaires de la société civile face à l’autoritarisme. Une telle restriction constitue une violation manifeste :

  • de la Constitution algérienne (art. 51–52 sur la liberté d’opinion et d’expression, art.
    54 sur la liberté de la presse),
  • du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 19),
  • de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (art. 9),
  • de la Charte arabe des droits de l’homme (art. 32),
  • et des Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau (§§23–24), qui reconnaissent expressément aux avocats le droit de participer librement aux débats publics sur le droit, la justice et la protection des droits humains.

En visant particulièrement les avocats défenseurs des droits de l’homme et des détenus d’opinion, cette note menace directement le droit à une défense libre et indépendante et aggrave l’isolement des victimes de violations graves. C’est pourquoi, Madame la Rapporteuse spéciale, nous vous demandons d’intervenir de toute
urgence afin :

  • de rappeler aux autorités algériennes leur obligation de respecter les droits fondamentaux des avocats défenseurs,
  • d’exiger l’annulation immédiate de ces notes restrictives,
  • et de porter ce dossier devant les mécanismes compétents des Nations Unies, notamment le Secrétaire général, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme et le Conseil des droits de l’homme.

Nous avons confiance en votre engagement constant en faveur des défenseurs des droits humains et espérons que vous saurez mobiliser la communauté internationale pour mettre fin à cette atteinte grave à l’indépendance de la profession d’avocat et aux droits fondamentaux en Algérie.

Veuillez agréer, Madame la Rapporteuse spéciale, l’expression de notre haute considération.

Dr. Sidi Menad Si Ahmed

Président d’honneur de Democratic Algeria